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Mémoire sur le document de consultation vers une politique de la formation continue

5 avril 1999

INTRODUCTION

La Fédération des cégeps partage l’avis de la ministre de l’Éducation selon lequel une politique de formation continue ne doit pas être le projet du seul ministère de l’Éducation, mais qu’elle doit relever d’une action gouvernementale. Nous croyons en effet que le développement de la formation continue représente un enjeu social, culturel et économique d’une telle importance pour le développement de la société québécoise qu’il commande une intervention gouvernementale urgente, planifiée et vigoureuse.

Nous sommes heureux que le ministère de l’Emploi et de la Solidarité – un partenaire privilégié du ministère de l’Éducation en matière de formation continue – et que le ministère des Relations avec les citoyens et de l’Immigration soient directement associés à la démarche de consultation. Il nous semble que d’autres ministères ou organismes gouvernementaux – ministère de la Culture et des Communications, de l’Industrie, du Commerce, de la Science et de la Technologie, Télé-Québec – devront aussi être partie prenante d’une véritable politique gouvernementale de formation continue.

La Fédération des cégeps se réjouit de l’occasion qui lui est donnée de participer au débat visant la mise en place d’un système intégré de formation continue pour la société québécoise. Nous partageons avec le ministère de l’Éducation la préoccupation – qui sous-tend le choix des cibles d’action mentionnées dans le document de consultation – d’accroître l’accessibilité à la formation tout au long de la vie. Dans le présent mémoire, nous prendrons d’abord position sur chacune des voies d’action retenues et sur les conditions précisées pour leur réalisation. Nous indiquerons ensuite les problèmes qui limitent le développement de la formation continue au collégial et nous nous attarderons sur les priorités qui devraient, du point de vue des collèges, être établies par le gouvernement. Nous terminerons en indiquant ce qui, selon nous, constitue les conditions essentielles à la mise en œuvre de la politique gouvernementale de la formation continue.

Les orientations et les commentaires soumis par la Fédération s’appuient sur sa conviction profonde qu’une accessibilité généralisée à une formation collégiale de qualité permettant l’acquisition de compétences de base solides et transférables constitue un enjeu majeur pour le devenir de la collectivité québécoise. Pour nous, la politique gouvernementale de formation continue doit viser à instaurer au Québec une véritable culture de la formation continue.

1. UNE POLITIQUE GOUVERNEMENTALE ATTENDUE

Si le gouvernement québécois reconnaît, à l’instar des gouvernements des principaux pays industrialisés, que la plus grande richesse d’une société réside dans la qualité de ses ressources humaines, il se doit d’adopter une politique de formation continue où il affirmera son intention de freiner la tendance à l’exclusion, à la relégation au chômage et à l’aide sociale de toute une tranche de la collectivité, et de poser ainsi les jalons permettant de « bâtir une société plus juste et plus solidaire envers les démunis1 ». Cette détermination devra se traduire par des énoncés clairs quant à la nécessité de hausser le niveau de scolarité initiale de la population et de faciliter à tous et à toutes l’accès à une formation de qualité leur permettant de s’adapter rapidement aux changements sociaux, techniques et économiques auxquels ils doivent faire face. Les orientations gouvernementales devront, par ailleurs, adopter une conception de la formation continue qui dépasse largement celle de la formation immédiate à l’emploi et grâce à laquelle les individus peuvent effectuer les apprentissages correspondant à leurs besoins, et ce, « tout au long de leur vie ».

Cette vision globale s’impose comme une nécessité dans l’environnement social actuel. En effet, le contexte de transformation constante de l ‘organisation du travail et de la société, lié aux changements dans les rapports sociaux et familiaux, à l’évolution technologique rapide, au développement de la science et à la concurrence mondiale exige que les connaissances et les habiletés des personnes soient continuellement renouvelées. La situation économique actuelle entraîne de nombreuses pertes d’emploi et une déqualification par rapport aux tâches à accomplir qui obligent les travailleurs et les travailleuses à s’adapter constamment à de nouvelles méthodes de travail, à se recycler, à se perfectionner, bref, à effectuer de fréquents retours à l’école. La multiplication des formes d’organisation familiale (monoparentalité, familles reconstituées, etc.) et l’exacerbation de certains problèmes sociaux (pauvreté, chômage, toxicomanie, etc.) exigent aussi des individus qu’ils développent de nouvelles attitudes et de nouvelles habiletés.

Pour l’instant, et malgré les multiples commissions d’étude, les rapports et les avis qui ont porté sur le sujet, la réalité de la formation continue au Québec demeure morcelée et dispersée, et son organisation se fait suivant des principes et des critères qui n’apparaissent pas toujours des plus rationnels. Le document de consultation fait lui-même état de tensions entre les besoins liés au développement économique et ceux liés au développement personnel, entre les besoins d’« employabilité » immédiats et les besoins de formation générale plus larges, entre le référentiel des qualifications acquises par l’expérience et celui des diplômes. Dans les faits, le ministère de l’Éducation a peu à peu délaissé le champ de la formation continue pour se concentrer sur celui de la formation initiale alors que le ministère de l’Emploi et de la Solidarité est devenu de plus en plus actif en matière de formation de la main-d’œuvre2. Cette vision dichotomique des choses va à l’encontre d’une approche globale et intégrée de la formation continue. Par conséquent, il devient urgent que le gouvernement, à travers une politique de la formation continue, exprime des orientations politiques claires et une volonté administrative qui créeront le contexte et les conditions permettant de répondre aux nouvelles exigences de l’emploi et de la vie en société.

2. DES VALEURS À AFFIRMER

Pour la Fédération des cégeps, les valeurs de justice et d’équité doivent sous-tendre toutes les orientations qui seront mises de l’avant dans la politique de formation continue. Celle-ci devra promouvoir l’accès pour tous et pour toutes à une formation initiale axée sur l’acquisition de compétences de base – générales, techniques et technologiques – sur lesquelles pourront se greffer des compétences plus spécifiques et opérationnelles, lorsqu’elles seront requises pour s’adapter aux conditions sociales, structurelles ou technologiques en constante évolution.

C’est donc une nouvelle vision de l’éducation qu’il faut voir émerger où la formation initiale et la formation continue sont complémentaires et en continuité l’une avec l’autre, la première étant conçue comme une base sur laquelle viendront s’appuyer les apprentissages ultérieurs.

Pour la Fédération des cégeps, une formation initiale riche, axée sur l’acquisition d’habiletés de base – pensée logique, capacité d’analyse, de synthèse, de jugement critique, habiletés relatives à la communication et aux relations humaines, esprit d’initiative, sens des responsabilités, aptitude à travailler en équipe, capacité et volonté d’améliorer sans cesse ses compétences – associées à la connaissance des principes de base d’un champ de spécialisation, constitue l’assise d’une véritable formation continue et offre aux étudiants et aux étudiantes l’assurance d’une meilleure « employabilité ». Cette formation initiale, tout comme la formation continue, doit être accessible autant pour la clientèle adulte – selon des modèles et des formats appropriés – – que pour la clientèle jeune.

La Fédération des cégeps croit également que la politique de formation continue doit affirmer clairement que le rôle de l’éducation ne se limite pas à la qualification de la main-d’œuvre, mais vise plutôt la formation d’un être complet qui puisse se réaliser pleinement et faire face aux rôles multiples qu’il aura à jouer dans les différentes sphères de son existence, tant comme individu que comme membre d’une collectivité, tant comme citoyen que comme travailleur.

3. UN ÉTAT DE SITUATION À COMPLÉTER ET DES ENJEUX À PRÉCISER

L’exposé de la situation, tel qu’il est présenté dans le document d’orientation, nous apparaît très partiel. On y retrouve peu d’informations sur des éléments particulièrement importants pour la compréhension et l’analyse de la situation de la formation continue tels que la croissance de la clientèle, les transformations dans les modes de fréquentation, l’évolution du financement, la comparaison entre les modes de financement des différents ordres d’enseignement, etc.

On y fait très peu mention aussi du rôle joué par les établissements publics d’enseignement dans le développement de la formation continue au Québec. Cela est particulièrement vrai pour les cégeps. Leur contribution à la hausse du niveau de scolarité de la population québécoise, leur participation à l’essor de leur région, notamment par la formation de la main-d’œuvre technique et technologique, leur apport au développement d’une approche de formation adaptée aux besoins des organisations – la formation sur mesure -, leur investissement en recherche et en développement par l’intermédiaire des centres de transfert de technologie, tout cela est absent de l’exposé de la situation, et la Fédération le déplore.

Sans être en désaccord avec les voies d’action proposées dans le document ministériel pour accroître l’accessibilité à la formation non plus qu’avec les conditions ciblées pour assurer leur mise en œuvre, les cégeps considèrent qu’il ne s’agit pas toujours d’enjeux majeurs en formation continue et que certains éléments mériteraient d’être mieux circonscrits. Ainsi en est-il de l’alphabétisation, de l’élaboration d’indicateurs de progrès ou du soutien à la recherche, par exemple. Nous reprenons ici chacun des éléments du document de consultation en faisant ressortir le point de vue des établissements d’enseignement collégial publics sur ces questions.

Tout en reconnaissant l’importance de l’alphabétisation comme assise fondamentale de tout processus de formation, la Fédération des cégeps s’interroge sur la place que le ministère de l’Éducation entend lui accorder dans une politique de formation continue. En la situant au premier rang des actions à mener et en lui consentant une part aussi importante de financement3, le ministère place le problème de l’analphabétisme au cœur du développement de la formation continue. La Fédération est d’avis que cette problématique relève plutôt de la formation de base d’une personne et qu’il serait plus approprié d’en faire l’objet d’un plan d’action particulier du ministère de l’Éducation. Ce plan de lutte contre l’analphabétisme pourrait préciser des objectifs de résultats à atteindre dans des délais prescrits et mettre l’accent sur la promotion de la lecture et de l’écriture auprès des élèves du primaire et du secondaire.

S’il s’agit d’un problème qui concerne davantage le primaire et le secondaire, la Fédération des cégeps reconnaît que le collégial a aussi un rôle à jouer sur le plan du maintien et du renforcement des capacités de lecture et d’écriture. Cela suppose que de tels objectifs soient intégrés dans les programmes d’études collégiales, mais aussi que des ressources matérielles et humaines soient investies pour que les collèges soient en mesure de répondre à ces objectifs, notamment au moyen de leurs bibliothèques. Pourtant ces services, inclus dans la partie congrue des dépenses compressibles des collèges, sont en train d’être balayés par les effets des compressions budgétaires successives des cinq dernières années.

Pour la Fédération des cégeps, les questions liées à l’accueil des personnes, à l’information sur les services disponibles et au soutien dans le cheminement vers la formation font partie intégrante de la problématique de l’accessibilité. Nous croyons que ces services relèvent d’abord des établissements d’enseignement qui doivent aussi être en mesure de référer les personnes vers d’autres lieux ou vers d’autres programmes lorsque cela est nécessaire. Les cégeps sont d’accord avec l’hypothèse soumise dans le document ministériel selon laquelle un volet d’information sur les services éducatifs offerts au secondaire, au collégial et à l’université pourrait être inclus dans la mission des centres locaux d’emploi (C.L.E.) et selon laquelle, parallèlement, les établissements d’enseignement auraient un mandat d’information sur les programmes de soutien à la formation et sur le parcours individualisé de formation. Toutefois, parce que les besoins sont variables d’une région à l’autre, les cégeps croient qu’il ne peut y avoir de formule unique, applicable à l’ensemble du territoire. Pour diverses raisons, une formule centralisée de services d’accueil et de référence peut être efficace dans certaines régions et pas dans d’autres. Nous croyons donc qu’il faudra laisser beaucoup de marge de manœuvre aux organisations locales, de telle façon que les régions puissent développer les modèles qui répondent le mieux aux besoins de leur population.

La Fédération des cégeps considère enfin que l’engagement ministériel de « revoir l’organisation et le financement des services d’accueil et d’aide4 » devrait s’appliquer à l’enseignement collégial et non seulement au secondaire. La question du financement est au cœur du problème de l’accueil et de la référence. Pour être en mesure d’offrir un service personnalisé, les établissements doivent disposer des ressources nécessaires. Pourtant, le contexte budgétaire évoqué plus haut a entraîné des baisses importantes de personnel dans les services de formation continue. Ainsi, entre 1995-1996 et 1997-1998, le personnel professionnel des services de formation continue des cégeps – qui assume notamment les services d’accueil, d’information et de soutien à la clientèle adulte – a diminué de 20 %. Tout élargissement des mandats des établissements relativement à l’offre de ces services devra nécessairement s’accompagner d’un ajout de ressources pour leur mise en œuvre.

La Fédération des cégeps reconnaît la nécessité de diversifier les modes et les lieux de formation de manière à répondre aux besoins multiples des adultes. Plusieurs raisons peuvent justifier la préoccupation d’assouplir les modèles et les formats pédagogiques, que ce soit l’éloignement géographique, le manque de disponibilité dû à des horaires de travail variables ou à des responsabilités familiales, un handicap physique, un rythme et un mode d’apprentissage peu conciliables avec la méthode traditionnelle du cours suivi en classe. Les établissements d’enseignement doivent s’adapter et trouver les moyens d’élargir l’accès à la formation : on peut penser à la formation à temps partiel, aux formules d’alternance travail-études, à la formation à distance, à la formation individualisée, à la classe virtuelle, à l’utilisation pédagogique des technologies de l’information et des communications ou à tout autre mode de formation. Certaines de ces méthodes sont déjà largement utilisées par les établissements d’enseignement, car elles sont faciles d’application : la formation à temps partiel en est un exemple. D’autres sont encore peu développées (comme la classe virtuelle) parce que leur organisation est plus complexe ou parce qu’elles entraînent des coûts élevés. Ces dernières ne pourront se développer que par la mise en commun des ressources entre les établissements ou par le développement de partenariats avec d’autres organismes ou avec des entreprises.

La formation à distance présente un intérêt particulier dans la recherche d’une réponse adaptée aux besoins variés des adultes. Cette formule peut être à la fois une solution de rechange et un complément à l’enseignement traditionnel. La formation à distance peut en effet prendre la relève lorsque la formation en classe n’est pas accessible à proximité du lieu de résidence de l’adulte ou lorsque celui-ci n’a pas la disponibilité pour assister régulièrement à un cours; elle peut aussi représenter une solution à un problème très fréquent en formation continue, soit la difficulté de démarrer un groupe-cours dans une région lorsque la clientèle n’est pas suffisante pour couvrir les coûts d’enseignement.

Les réseaux publics d’enseignement ont développé, au cours des dernières années, une expertise significative dans ce domaine (la Télé-université, le Centre collégial de formation à distance et la Société de formation à distance des commissions scolaires du Québec). La Fédération des cégeps considère que l’expérience ainsi développée devrait être mise à profit dans l’élaboration d’un système intégré de formation continue. La formation à distance devrait être reconnue comme un moyen d’élargir l’accessibilité à la formation continue, et les conditions minimales de son développement devraient être assurées par le ministère de l’Éducation.

Enfin, la Fédération des cégeps s’étonne que l’exposé de la situation attribue les limites d’utilisation de la fréquentation scolaire à temps partiel aux seuls problèmes de l’organisation de la plage horaire, et ce, « surtout à l’enseignement collégial », et que le ministère traduise cette préoccupation en un engagement ministériel5. Les restrictions à l’offre et à l’inscription des adultes à des cours à temps partiel tiennent à un ensemble de facteurs tels la diminution du financement par le M.E.Q., les coûts d’inscription de 2 $ l’heure, la concurrence des programmes courts des universités, les règles d’admission obligeant l’individu à s’inscrire à un programme plutôt qu’à un cours, etc. Les collèges ont toujours aménagé leur plage horaire pour répondre aux besoins des adultes et ils sont prêts à continuer à le faire, mais cela exigera que le M.E.Q. accepte d’investir les ressources nécessaires.

Dans son document d’orientation, le ministère de l’Éducation situe la reconnaissance des acquis extrascolaires comme un enjeu majeur pour l’amélioration de l’accès à la formation continue. Il ajoute qu’il faut accroître et reconnaître les compétences acquises en milieu de travail pour favoriser une meilleure « employabilité » des travailleurs et des travailleuses.

La Fédération des cégeps partage cette vision : accepter la multiplicité et la diversité des sources possibles de formation et d’acquisition de compétences a comme corollaire la nécessité de mettre en place un système efficace permettant aux individus de faire reconnaître socialement les apprentissages ainsi réalisés et les compétences acquises. Cette reconnaissance est particulièrement stratégique pour répondre aux besoins de mobilité professionnelle au moment où les nouvelles réalités du marché du travail font en sorte que les travailleurs et les travailleuses doivent constamment ajuster leurs compétences, en acquérir de nouvelles ou encore se recycler en vue de changer d’emploi. C’est donc à deux types différents de besoins que le système doit être en mesure de répondre : d’une part, l’évaluation des apprentissages en vue d’obtenir des équivalences de formation pour la poursuite d’études et, d’autre part, la reconnaissance des compétences et des qualifications dans une perspective de changement d’emploi ou d’avancement professionnel.

Par conséquent, la politique gouvernementale de formation continue doit établir quel modèle il faut développer pour répondre à ces deux types de besoins. Faut-il maintenir en parallèle un système d’équivalences scolaires, propre à l’éducation, et un système de reconnaissance des qualifications, propre à la main-d’œuvre? Faut-il chercher à établir des passerelles entre ces deux systèmes autonomes? Faut-il tendre vers l’élaboration d’un système intégré où, à partir d’un cadre commun de référence (une banque de compétences, par exemple), chacun des secteurs, main-d’œuvre et éducation, pourrait évaluer les apprentissages d’une personne et établir un bilan scolaire ou professionnel en fonction de l’objectif poursuivi?

Sans entrer dans des considérations méthodologiques d’application, nous indiquerons, au chapitre 5 de ce présent mémoire intitulé « Des voies d’action à privilégier », quelles orientations le gouvernement devrait mettre de l’avant, selon nous, pour créer un système efficace de reconnaissance des acquis.

La Fédération des cégeps ne partage pas l’avis du ministère de l’Éducation selon lequel il faudrait constituer des instances régionales interordres qui définiraient avec les établissements l’offre de services de formation. Ici encore, les caractéristiques et les dynamiques régionales font en sorte qu’un modèle unique de coordination pourrait s’avérer difficile à appliquer.

Un partage plus clair des rôles et des responsabilités de chacun rendrait à peu près inutile la mise en place d’une telle structure, lourde et coûteuse. Cette répartition devrait s’appuyer sur des principes objectifs respectant l’expertise et la finalité de chaque ordre d’enseignement et devrait être sous la responsabilité du ministère de l’Éducation.

Nous croyons par ailleurs à la nécessité d’une coordination interministérielle des interventions en formation continue. Présentement, une très large part (environ 60 %) de la réponse des établissements d’enseignement aux besoins de formation des adultes se fait par des programmes provenant d’autres sources que le ministère de l’Éducation. Cet état de fait s’accompagne d’une lourdeur des processus administratifs qui rend de plus en plus difficile la planification et la gestion des services en formation continue. Le rapatriement des fonds destinés à la formation de la main-d’œuvre du gouvernement fédéral vers le ministère de l’Emploi et de la Solidarité, s’il vient limiter le nombre des intervenants, laissera entière la question du partage des champs de responsabilité entre les ministères provinciaux en matière de formation des adultes. Les multiples programmes de formation, en provenance de nombreux ministères, demeureront, chacun ayant ses propres règles de financement, ses normes et ses critères d’admission. En 1997, les responsables de l’éducation des adultes des cégeps dénombraient 75 programmes provinciaux d’aide à l’« employabilité », relevant de onze ministères différents; au seul ministère de l’Éducation, on comptait dix-sept modèles différents de financement. Le manque d’harmonisation des politiques et des procédures entre les ministères et même entre les différentes directions d’un même ministère entraîne une perte d’énergie et de ressources, qui dessert la population adulte. Il y aurait donc tout lieu de mettre en place une instance interministérielle ayant comme mandat d’assurer la coordination, la cohérence et la complémentarité des actions. Nous reviendrons plus loin sur cette question, dans la perspective plus large de la mise en œuvre d’une politique gouvernementale de formation continue.

Pour la Fédération des cégeps, la question du financement constitue un enjeu majeur pour le développement de la formation continue. Le document de consultation reconnaît que les modes d’allocation des ressources de même que les sommes consenties varient considérablement d’un ordre d’enseignement à l’autre et qu’il y a là un manque de logique interne et de cohérence du système6. Nous avons déploré cet état de fait à de nombreuses reprises. Une étude réalisée récemment par la Fédération des cégeps démontre que, en 1995-1996, le réseau collégial a reçu à peine 8 % du montant total accordé pour la formation continue aux établissements d’enseignement québécois par les deux paliers de gouvernement. Aussi, nous nous réjouissons de l’engagement ministériel selon lequel le financement de la formation continue au collégial sera ajusté7.

Le problème d’inégalité dans la répartition des enveloppes budgétaires est particulièrement flagrant entre le réseau collégial et le réseau universitaire, et ce, à l’avantage des universités. En effet, les universités sont financées pour leur volume d’activités sans égard aux caractéristiques de l’effectif étudiant — à temps plein ou à temps partiel — non plus qu’à celles de la formation, qu’il s’agisse de programmes courts ou d’études de premier cycle. Ainsi, une démarche individuelle de formation (apprentissage d’une langue étrangère en préparation d’un voyage, par exemple) est financée au même titre que celle visant l’obtention d’un baccalauréat. En comparaison, les modèles d’allocations budgétaires au collégial sont très complexes et diffèrent selon qu’il s’agit de formation ordinaire ou de formation continue. De plus, le volume d’activités en formation courte au collégial est limité par une enveloppe budgétaire fermée qui doit être distribuée en fonction d’une planification régionale, ce qui n’est pas le cas pour les universités.

Par ailleurs, la suggestion du document de consultation, selon laquelle le financement de la formation continue au secondaire et au collégial devrait évoluer vers une gestion globale des fonds destinés à la formation ordinaire et à la formation continue, doit être analysée avec beaucoup d’attention et de prudence, car elle pourrait avoir comme conséquence de faire perdre au secteur de la formation continue son intérêt et sa visibilité à l’intérieur des établissements.

Enfin, l’engagement ministériel relativement au maintien du niveau actuel de financement de la formation continue ne nous semble pas en concordance avec la nécessité de développer ce secteur, affirmée sous différentes formes dans le document d’orientation. Au collégial, le financement actuel est jugé insuffisant pour répondre aux besoins des individus et des entreprises. Il est difficile d’imaginer comment on pourrait à la fois maintenir le niveau de financement actuel, le répartir plus équitablement entre les ordres d’enseignement, améliorer de façon notable les services d’accueil, d’encadrement et de reconnaissance des acquis, tout en diversifiant et en modernisant les modèles pédagogiques.

La Fédération des cégeps croit, comme le ministère de l’Éducation, qu’il faut se doter de mécanismes permettant de faire l’analyse des cheminements scolaires des adultes et de mesurer l’efficacité des services qui leur sont offerts. Elle croit cependant que l’examen de la qualité de la formation offerte de même que l’évaluation de la satisfaction de la clientèle au regard des formations reçues devrait se faire à chacun des ordres d’enseignement et pour toute formation dont le financement provient de fonds publics.

Les modes de révision des programmes de formation technique ont été changés il y a quelques années, et la participation du marché du travail y est assurée. Les collèges peuvent par ailleurs développer de nouveaux programmes courts répondant aux besoins des entreprises ou adapter rapidement ceux qui existent déjà. Ainsi, le problème au collégial ne réside pas tant dans la difficulté d’offrir des programmes adaptés aux besoins de la clientèle mais dans la difficulté d’obtenir du financement pour l’élaboration de ces programmes. On sait que le développement d’un nouveau programme coûte environ 50 000 $ alors que le ministère de l’Éducation accorde pour ce faire une subvention de 20 000 $ et impose des règles strictes quant au format de ce programme. C’est à ce problème qu’il faut s’attaquer de toute urgence.

La Fédération des cégeps est sensible à la préoccupation soulevée dans le document en ce qui concerne la recherche en formation continue et ne peut qu’appuyer les engagements ministériels de réserver des fonds pour soutenir des initiatives dans ce domaine. Toutefois, la Fédération n’y voit pas un enjeu majeur pour le développement de la formation continue, d’autant plus que d’autres besoins beaucoup plus criants se font sentir comme le perfectionnement pédagogique des chargés de cours ou l’aide au développement de programmes par compétences.

4. DES PROBLÈMES À CORRIGER POUR LE RÉSEAU COLLÉGIAL

Pour la Fédération des cégeps, des problèmes autres que ceux énumérés dans le document de consultation constituent des enjeux importants sur lesquels la politique de formation continue devrait statuer. Il s’agit du désengagement graduel du ministère de l’Éducation en formation continue, des chevauchements des programmes du collégial et de l’université, et de la concurrence des établissements privés de formation.

Le réseau des établissements d’enseignement publics est placé devant la situation paradoxale où son ministère « d’appartenance », tout en prenant l’initiative de proposer une politique de formation continue, concentre de plus en plus ses actions en formation initiale et abandonne progressivement le champ de la formation de la main-d’œuvre au profit du ministère de l’Emploi et de la Solidarité, qui en devient le principal bailleur de fonds. Le document de consultation est tout à fait explicite là-dessus :

    Si le ministère de l’Éducation a pris le virage de la formation qualifiante, au bénéfice de la reconnaissance sociale des diplômes décernés, le ministère de l’Emploi et de la Solidarité a pris celui des mesures actives, confirmant ainsi son rôle de premier plan dans la formation de la main-d’œuvre8.

Au collégial, la situation se traduit de la manière suivante : le financement en provenance du M.E.Q. a régressé de façon sérieuse au cours des dernières années, une diminution de 22 % entre 1992-1993 et 1995-1996. Pourtant, les coûts reliés à la formation continue n’ont pas diminué et les contraintes administratives auxquelles les collèges sont soumis, notamment l’application des conventions collectives, n’ont pas changé non plus.

Tableau 1

Évolution du financement par le M.E.Q. de la formation continue au collégial

entre 1992 et 1996 (en  M $)

Encadrement

Formation

Total

1992-1993

9,3

36,0

45,3

1993-1994

9,3

30,8

40,1

1994-1995

9,3

24,2

33,5

1995-1996

9,0

26,5

35,5

Entre 1992 et 1996

– 3 %

– 26 %

– 22 %

Source : Ministère de l’Éducation, Rapports financiers annuels des cégeps et Régime budgétaire et financier.

Outre la réduction du financement, on constate un transfert des budgets alloués à la formation à temps partiel vers la formation à temps plein, comme le démontre le tableau suivant. Ce glissement peut être interprété lui aussi comme un désengagement du ministère de l’Éducation à l’endroit des personnes en emploi qui ont rarement la disponibilité leur permettant de suivre une formation à temps plein.

Tableau 2

Évolution du financement par le M.E.Q. de la formation continue au collégial,

selon le type de formation, entre 1993 et 1996 (en  M $)

A.E.C.

temps plein

D.E.C.

temps plein

Temps partiel

1993-1994

9,3

0,3

21,2

1994-1995

9,7

0,3

14,2

1995-1996

13,0

0,4

13,1

Entre 1993 et 1996

40 %

33 %

– 38 %

Source : Ministère de l’Éducation, Rapports financiers annuels des cégeps et Régime budgétaire et financier.

Cette transformation du modèle de financement s’accompagne de changements dans les modes de fréquentation de la clientèle. Entre 1993-1994 et 1995-1996, l’effectif étudiant en formation continue au collégial est passé de 66 645 à 52 193, soit une réduction de 22 %. Cette baisse est attribuable à une diminution de l’effectif à temps partiel qui est passé de 57 375 à 40 832 au cours de la période, pour une réduction de 29 %, alors que l’effectif à temps plein augmentait de 22 %, passant de 9270 à 11 311.

Tableau 3

Évolution des clientèles inscrites en formation continue au collégial,

selon leur statut, entre 1993 et 1996

Temps plein

Temps partiel

Total

1993-1994

9 270

57 375

66 645

1995-1996

11 311

40 832

52 193

Entre 1993 et 1996

+ 22 %

– 29 %

– 22 %

Source : Ministère de l’Éducation, Direction des statistiques et des études quantitatives, Statistiques de l’éducation, 1997, p. 82 et 83.

Ainsi, les études à temps partiel en vue de l’obtention d’un diplôme d’études collégiales deviennent de plus en plus difficiles, voire impossibles, dans les petits collèges où le volume de clientèle est plus restreint. Ces transformations graduelles dans les modes de financement tendent à réduire progressivement la mission des établissements d’enseignement à celle de la formation initiale9.

Ajoutons enfin que, parallèlement à la diminution du financement, le ministère de l’Éducation a modifié graduellement son organisation administrative. Alors que la formation continue relevait de la Direction de la formation continue il y a quelques années, elle a été intégrée, petit à petit, aux autres dossiers de la Direction de l’enseignement collégial ou de la Direction générale de la formation professionnelle et technique (D.G.F.P.T.), de manière telle qu’il n’existe plus présentement de répondant unique au ministère de l’Éducation pour les dossiers de la formation continue. Même si nous reconnaissons que l’importance d’un dossier ne tient pas essentiellement à la structure qui le supporte, dans le cas présent, la conjonction du changement de structure, de la baisse du financement et du transfert du financement vers le temps plein ne peut que nous amener à conclure à un désinvestissement du ministère de l’Éducation au regard de la formation continue.

Le principal problème de chevauchement de programmes se situe entre le collégial et l’université, et provient de la prolifération des programmes courts dans des champs où collèges et universités offrent de la formation. Selon une estimation de la Direction de l’enseignement supérieur et de la recherche universitaire du M.E.Q., on dénombrait environ 420 certificats universitaires et 300 attestations d’études collégiales pour l’année 1996-1997. Ces statistiques ne prennent évidemment pas en compte les multiples « microprogrammes » développés par les universités, souvent dans des champs de spécialisation où les collèges offrent déjà des diplômes d’études collégiales. Par ailleurs, la libéralisation des autorisations quant à l’offre et au développement des attestations d’études collégiales viendra rendre encore plus aiguë la concurrence entre les cégeps et les universités, concurrence dont l’origine tient en grande partie à la disparité des modes de financement entre les deux ordres d’enseignement. Nous élaborerons un peu plus loin sur ce sujet.

Comme nous l’avons indiqué précédemment, une répartition des zones de responsabilité de chaque ordre d’enseignement s’impose et cette tâche revient au ministère de l’Éducation. Tout en reconnaissant que la frontière entre les champs de connaissance qui relève d’un ordre et de l’autre est difficile à établir et que des chevauchements sont toujours susceptibles d’exister, nous croyons qu’un certain nombre de critères objectifs pourraient être établis dans le but de minimiser les duplications dans l’offre de formation. Un sous-comité du Comité de liaison de l’enseignement supérieur (C.L.E.S.) s’est penché sur cette question et a indiqué quelques-unes de ces balises10. Citons-en quelques-unes : l’existence d’un D.E.C. ou d’un baccalauréat dans le domaine visé; la correspondance entre le programme et une ou plusieurs parties d’un programme existant à l’un des ordres d’enseignement; la scolarité antérieure des étudiants et des étudiantes qui s’inscriront au programme; le type de fonctions de travail à laquelle le programme prépare.

Compte tenu des intérêts en cause, il nous semble que ce partage ne peut être laissé à la seule initiative des établissements d’enseignement. Le ministère doit mettre en place les conditions permettant à chaque ordre d’enseignement de bien remplir sa mission dans le secteur qui lui est propre et s’assurer que l’autonomie des uns ne brime pas celle des autres.

L’entrée en vigueur de la Loi favorisant le développement de la formation de la main-d’œuvre — la loi 90 —, obligeant les entreprises à consacrer 1 % de leur masse salariale à la formation de leur personnel, s’est accompagnée d’une prolifération de firmes, d’établissements privés et de formateurs indépendants auxquels Emploi-Québec a recours pour des interventions en formation de la main-d’œuvre. En effet, de nombreux établissements privés se sont vu octroyer un permis d’enseignement collégial, obtenant ainsi l’autorisation d’offrir des programmes qui conduisent à une attestation d’études collégiales (A.E.C.). Cela crée une concurrence indue et inacceptable pour les cégeps qui, contrairement aux établissements privés, sont soumis à de lourdes contraintes administratives : tarification horaire établie par convention collective, priorités d’emploi à respecter, gratuité scolaire pour les étudiants et les étudiantes à temps plein, processus d’autorisation pour le développement de programmes dans un domaine où il n’existe pas de D.E.C., etc. Nous croyons que cette concurrence des établissements privés de formation est en grande partie à l’origine de la baisse du financement accordé aux cégeps par la Société québécoise de développement de la main-d’œuvre (S.Q.D.M.).

Tableau 4

Évolution du financement par la S.Q.D.M. de la formation continue au collégial,

entre 1992 et 1996 (en  M $)

Encadrement

Formation

(ALFEPAC, Achats directs, FME)

Total

1992-1993

9,0

38,1

47,1

1993-1994

9,0

39,5

48,5

1994-1995

9,0

35,9

45,0

1995-1996

8,3

25,3

33,6

Entre 1992 et 1996

– 8 %

– 34 %

– 29 %

Source : Ministère de l’Éducation, Rapports financiers annuels des cégeps et Régime budgétaire et financier.

Malheureusement, les données nous permettant de comparer la répartition des enveloppes budgétaires entre le réseau public et les établissements et les formateurs privés ne sont pas disponibles. Il est évident toutefois que la position des cégeps est fragile face à des entreprises privées qui ne sont pas soumises aux mêmes règles ni aux mêmes contraintes qu’eux.

Pour la Fédération des cégeps, cette situation ne peut que desservir la clientèle adulte qui est ainsi exposée à des écarts considérables quant aux coûts et à la qualité des services fournis. Le réseau collégial public a largement démontré son habileté à former des techniciennes et des techniciens compétents, comme en font foi les différentes enquêtes de satisfaction réalisées auprès des employeurs par le ministère de l’Éducation11. De plus, leurs trente années d’intervention en formation continue attestent de leur capacité à garantir la valeur et la continuité de leurs services. Il importe que soient rapidement levés les obstacles qui empêchent les cégeps de soutenir une concurrence juste et équitable avec les établissements privés de formation. Comme l’affirme le Conseil supérieur de l’éducation dans son avis sur la formation continue du personnel des entreprises, des ressources considérables ont été investies dans le réseau public d’éducation afin qu’il puisse assurer le mandat de formation initiale des jeunes, mais aussi de formation continue des adultes. Il faut maintenant qu’il assure le perfectionnement rendu nécessaire en raison de la hausse des qualifications requises sur le marché du travail. La société québécoise doit y trouver un juste retour sur son investissement12.

5. DES VOIES D’ACTION À PRIVILÉGIER

Si la collectivité québécoise veut être en mesure de répondre aux nouvelles exigences de l’emploi et de la vie en société, certaines voies d’action doivent être choisies en priorité. Selon la Fédération des cégeps, il s’agit de hausser le niveau de scolarité de la population, d’affirmer le rôle primordial du ministère de l’Éducation en matière de formation continue, d’assurer un financement adéquat de la formation continue et de mettre en place un système de reconnaissance des acquis qui réponde aux besoins des adultes.

Bien que la plupart des pays reconnaissent le secondaire comme un niveau minimal de formation, un courant international tend à hausser le niveau de scolarisation considéré comme essentiel à une bonne intégration au marché de l’emploi13. Le Conseil de la science et de la technologie, dans son rapport intitulé Pour une politique québécoise de l’innovation, précise qu’au Québec le nombre d’emplois exigeant au plus un diplôme d’études secondaires est passé, entre 1990 et 1996, de 1 568 000 à 1 320 000, soit une baisse de 16 %. Au cours de la même période, les emplois demandant des études postsecondaires ont connu une hausse de 21 % et ceux qui exigent des études universitaires ont augmenté de 37 %14 . Pour être en mesure de se situer comme une société compétitive sur le plan de la main-d’œuvre, le Québec devra tendre à envisager la formation collégiale comme le niveau minimal de formation à atteindre pour le plus grand nombre.

Selon les données du document de consultation, environ 35 % de la population québécoise n’a pas dépassé le niveau de la cinquième secondaire15. Ainsi, une bonne partie des travailleurs et des travailleuses actuellement sur le marché de l’emploi n’a jamais entrepris d’études collégiales. Il est nécessaire pour l’avenir du Québec de hausser le niveau de scolarité des adultes, de façon qu’ils soient plus polyvalents et en mesure de s’adapter plus facilement et plus rapidement aux divers changements qu’ils auront à vivre.

Le défi du système éducatif consiste donc à permettre à un plus grand nombre d’adultes d’entreprendre et de terminer une formation collégiale de base leur donnant accès aux compétences clés de plus en plus exigées par le monde du travail16. Il consiste aussi à continuer avec encore davantage de succès à assurer l’adaptation, le recyclage et le perfectionnement de la main-d’œuvre spécialisée.

Notre vision de l’éducation fondée sur le caractère complémentaire et indissociable de la formation initiale et de la formation continue nous amène à conclure à la nécessité pour le ministère de l’Éducation d’exercer un rôle de premier plan sur toute matière liée à la formation, qu’il s’agisse de la formation des jeunes ou des adultes, de formation initiale ou de formation continue.

Dans son avis intitulé La formation continue du personnel des entreprises, le Conseil supérieur de l’éducation17 presse les établissements du réseau public d’éducation d’agir non seulement comme agents de formation initiale, mais aussi comme agents de formation continue de la main-d’œuvre, ce qui fait partie, selon lui, de leur mission éducative. Une telle conception du mandat des établissements du réseau public d’éducation trouve appui dans les lois qui les régissent18 et se justifie par les investissements en ressources humaines et financières réalisés dans les établissements des réseaux publics d’éducation depuis trente ans et par l’expertise qui s’y est développée et qui doit être mise à profit dans la formation continue de la main-d’œuvre.

Selon le Conseil supérieur de l’éducation :

    «apprendre à apprendre tout au long de la vie aux personnes, dont celles en emploi, est une orientation qui doit guider les établissements du réseau public d’éducation dans la définition d’un mandat éducatif large, un mandat qui appelle une réforme des objectifs de formation initiale de façon à respecter ceux de la formation continue19

Pour la Fédération des cégeps, il importe de bien marquer la différence entre les responsabilités de la « main-d’œuvre » et celles de l’« éducation », et de redéfinir le cadre du partage entre les ministères. Cela doit se faire dans une recherche de concertation, de complémentarité et de partenariat. Concrètement, le ministère de l’Éducation devra exercer un leadership clair pour tout ce qui touche la prestation de la formation, et le ministère de l’Emploi et de la Solidarité devra jouer un rôle majeur pour tout ce qui a trait à la connaissance de l’évolution du marché du travail, particulièrement au regard des prévisions d’emploi, à l’identification des besoins de formation et au financement des activités de formation de la main-d’œuvre.

Nous l’avons déjà indiqué : le réseau collégial est confronté à de sérieux problèmes en matière de financement, et ces problèmes diffèrent de ceux des autres ordres d’enseignement. D’une part, le niveau du financement est insuffisant pour répondre aux besoins des adultes dans les conditions qui leur conviennent. Cela est dû principalement aux baisses substantielles des sommes consenties au cours des cinq dernières années, tant par le M.E.Q. que par la S.Q.D.M., mais aussi au glissement de la formation continue du réseau de l’éducation vers celui de la main-d’œuvre et aux changements que cela entraîne quant aux modalités de financement (clientèle ciblée, exigence d’une garantie d’emploi, etc.). D’autre part, la répartition des enveloppes budgétaires entre les ordres d’enseignement est inéquitable, surtout dans le contexte où une partie importante des nouveaux emplois exigeront des compétences de niveau technique et technologique.

La Fédération des cégeps considère que le financement de la formation continue doit être mieux réparti entre les ordres d’enseignement et qu’il faut appliquer des règles équivalentes de financement. Il n’est pas normal que la formation continue au collégial soit marginalisée comme elle l’est actuellement par rapport à l’enseignement secondaire et à l’université où les modèles de financement sont beaucoup plus souples.

Si l’on veut que les orientations politiques soient plus que des déclarations d’intention, la réglementation financière devra assurer l’application des principes. Dans un avis sur le financement de l’éducation des adultes, le Conseil supérieur de l’éducation indiquait au ministère de l’Éducation un certain nombre de balises qu’il fallait respecter pour que le modèle de financement s’inscrive dans une optique de formation permanente : le modèle devrait favoriser l’accessibilité et l’adaptation des services; il devrait permettre les formations à temps partiel comme les formations à temps plein et ne devrait exclure aucun adulte en raison de son incapacité de payer; il devrait être mixte, c’est-à-dire faire appel à la fois aux fonds publics et aux fonds privés, et il devrait être consacré aux services directs à la population, ce qui exige de réduire le plus possible les coûts administratifs et de confier aux instances locales les pouvoirs et les ressources qui lui permettent d’apporter une réponse adaptée aux besoins de formation20.

En accord avec ces principes, la Fédération des cégeps considère que, en ce qui concerne la partie du financement en provenance du M.E.Q., les mêmes règles et les mêmes normes devraient s’appliquer à l’enseignement ordinaire et à l’enseignement des adultes, et ce, tout en maintenant une enveloppe réservée à la formation continue. Concrètement, le mode d’allocation des ressources actuellement en vigueur à l’enseignement régulier (F.A.B.E.S.) devrait s’appliquer à toute la formation créditée, non seulement celle suivie dans le cadre des diplômes d’études collégiales (D.E.C.), mais aussi dans le cadre des programmes d’attestations d’études collégiales (A.E.C.). Cette façon de faire rendrait possible l’allocation de budgets à l’encadrement (F) et aux immobilisations (B), et de résoudre les problèmes liés au fait que les adultes n’ont pas accès aux mêmes services que ceux dont bénéficient les jeunes. Cela ne devrait toutefois pas éliminer la possibilité d’offrir des programmes autofinancés, à temps plein lorsque cela est nécessaire, et adaptés aux besoins d’une clientèle qui est en mesure de payer des frais de scolarité.

Jusqu’à maintenant, le système d’éducation a développé la reconnaissance des acquis dans la perspective de faciliter l’accès aux études. Au collégial, les interventions en reconnaissance des acquis sont financées dans la mesure où elles se traduisent par une équivalence de cours ou par la réussite, dans le cas de la poursuite de la formation manquante. Même si les montants accordés par le M.E.Q. à la reconnaissance des acquis ont augmenté graduellement depuis 1993, il reste que, de façon globale, ils représentent toujours moins de 4 % des sommes consacrées à la formation continue et touchent un nombre restreint d’individus.

Tableau 5

Évolution des montants alloués par le M.E.Q.

pour la reconnaissance des acquis et la formation manquante au collégial

entre 1993 et 1997

Montant

Enseignement

(E)

Montant Activités

(A)

Montant spécifique

(S)

Total

Reconnaissance des acquis

% de l’allocation du M.E.Q. en formation

continue

Nombre d’étudiants *


1993-1994

800 000 $

324 886 $

489 100 $

1 613 986 $

2,9 %

293

1994-1995

801 500 $

313 012 $

286 600 $

1 401 112 $

2,6 %

293

1995-1996

510 700 $

213 700 $

153 500 $

877 900 $

1,5 %

207

1996-1997

1 514 700 $

613 727 $

125 000 $

2 253 427 $

3,9 %

614

* Estimation du nombre d’étudiants et d’étudiantes admissibles au calcul de l’allocation pour la reconnaissance des acquis de formation.

Source : Régime budgétaire et financier des cégeps et données du ministère de l’Éducation.

Compte tenu du fait que le système de reconnaissance des acquis en vigueur dans le réseau de l’éducation et basé sur le référentiel scolaire n’a pas connu les résultats escomptés pour l’augmentation de l’accessibilité aux études, et considérant les coûts importants engendrés par le développement d’instruments d’évaluation valides, la Fédération des cégeps croit qu’il faut envisager un assouplissement du système actuel et tendre vers un modèle qui puisse répondre à la fois aux besoins d’équivalence de formation pour la poursuite des études et aux besoins d’attestation de compétences pour l’amélioration des conditions de travail. Ce système devrait être établi dans un contexte de partenariat entre la main-d’œuvre et l’éducation et dans le respect de l’expertise et des obligations de chacun de ces secteurs. On pourrait, par exemple, convenir d’un cadre de référence commun dans lequel se retrouveraient les compétences définies dans les programmes d’études21 et d’autres compétences propres au marché du travail, mais chaque secteur pourrait demeurer responsable de l’évaluation et de la sanction des acquis ou de la reconnaissance des compétences. Dans ce contexte, le projet de constitution d’une banque de compétences, amorcé par le ministère de l’Éducation, pourrait être réactivé. Les comités sectoriels élaborent eux aussi des profils de compétences correspondant à des fonctions de travail. Ce travail pourrait être mis en commun pour constituer la base d’un système intégré de reconnaissance des acquis.

6. DES CONDITIONS DE MISE EN ŒUVRE

Pour que la politique gouvernementale de la formation continue puisse réellement être mise en œuvre, il faudra absolument qu’une instance interministérielle, appuyée par les partenaires du marché du travail et par les réseaux d’enseignement, soit chargée de son application. Le mandat de cette instance devrait être défini dans la politique. Par ailleurs, le gouvernement devra investir les sommes nécessaires à la mise en place de certaines mesures visant à améliorer les services de formation aux adultes, notamment celles qui sont ciblées dans le document de consultation : amélioration de la reconnaissance des acquis, des services d’accueil, d’aide et de référence, diversification des modèles pédagogiques, révision des programmes, soutien à la recherche, etc.

SOURCES DOCUMENTAIRES

CONSEIL DE LA SCIENCE ET DE LA TECHNOLOGIE, Pour une politique québécoise de l’innovation, Rapport de conjoncture 1998, Québec, 1998, 73 p.

COMITÉ DE LIAISON DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR, La continuité des études techniques et universitaires : fondements, objectifs et modalités à privilégier, juin 1998, 37 p.

CONSEIL SUPÉRIEUR DE L’ÉDUCATION, La formation continue du personnel des entreprises, un défi pour le réseau public d’éducation, Avis à la ministre de l’Éducation, Québec, juin 1998, 76 p.

CONSEIL SUPÉRIEUR DE L’ÉDUCATION, Vers un modèle de financement en éducation des adultes, Avis au ministre de l’Éducation, Québec, 1994, 52 p.

FÉDÉRATION DES CÉGEPS, Miser sur la formation technique, État de situation et plan stratégique de développement, Montréal, 1998, 76 p.

FÉDÉRATION DES CÉGEPS, Refaire le choix d’un système de formation continue au collégial, Rapport du comité de travail sur la formation continue, Montréal, septembre 1998, 22 p.

MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION, Direction générale de la formation professionnelle et technique, L’enseignement technique au collégial : les employeurs s’expriment, Faits saillants, Québec, 1997, 10 p.

MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION, Vers une politique de formation continue, Document de consultation, Québec, 1998, 58 p.

O.C.D.E., Le nouveau rôle de l’enseignement technique et de la formation professionnelle (V.O.T.E.C.), Contexte, acteurs, enjeux, Paris, 1994, 29 p.

1. Ministère de l’Éducation, Vers une politique de formation continue, Document de consultation, 1998, p. 18.

2. Ibid., p. 11.

3. Selon le document d’orientation, environ 15 000 000 $ auraient été consacrés à l’alphabétisation populaire en 1996-1997. On sait cependant qu’une partie des sommes consenties à la formation générale au secondaire va aussi à l’alphabétisation. Selon nos estimations, c’est environ 50 000 000 $ qui auraient été consacrés à l’alphabétisation en 1996-1997, soit l’équivalent des sommes investies par le M.E.Q. en formation continue au collégial.

4. Ministère de l’Éducation, op. cit., p. 29.

5. Ibid., p. 32.

6. Ibid., p. 4.

7. Ibid., p. 46.

8. Ibid., p. 11.

9. Fédération des cégeps, Refaire le choix d’un système de formation continue au collégial, Rapport du comité de travail sur la formation continue, septembre 1998.

10. Comité de liaison de l’enseignement supérieur, La continuité des études techniques et universitaires : fondements, objectifs et modalités à privilégier, juin 1998.

11. Ministère de l’Éducation, Direction générale de la formation professionnelle et technique, L’enseignement technique au collégial : les employeurs s’expriment, 1997.

12. Conseil supérieur de l’éducation, La formation continue du personnel des entreprises, un défi pour le réseau public d’éducation, Avis à la ministre de l’Éducation, juin 1998, p. 16 et suivantes.

13. Les travaux de différents organismes internationaux, notamment ceux de l’Organisation de coopération et de développement économiques (O.C.D.E.), confirment que l’évolution des sciences et des technologies se traduit par une augmentation de la demande en techniciens spécialisés et par une hausse des exigences du marché du travail en matière de formation générale et de compétences de base. Voir O.C.D.E., Le nouveau rôle de l’enseignement technique et de la formation professionnelle (V.O.T.E.C.), Contexte, acteurs, enjeux, p. 11.

14. Conseil de la science et de la technologie, Pour une politique québécoise de l’innovation, Rapport de conjoncture 1998, p. 43.

15. Ministère de l’Éducation, op. cit., p. 15.

16. L’évolution rapide des emplois fait qu’il est de plus en plus difficile de prévoir précisément quelles seront les qualifications nécessaires pour tel emploi dans quelques années : « Ce qui pourrait apparaître comme le meilleur profil pour un emploi donné, dans une entreprise donnée et à un moment donné, peut ne pas être valable dans le contexte d’une autre entreprise, plus grande ou plus petite, ou dans quelques années, lorsque de nouveaux équipements ou de nouvelles formes d’organisation pourront exiger d’autres connaissances ou d’autres compétences. » Ces constats accentuent l’importance de centrer les apprentissages sur des compétences clés, opérationnelles et transférables, qui permettent la polyvalence et l’adaptabilité de la main-d’œuvre. Tiré de Fédération des cégeps, Miser sur la formation technique, État de situation et plan stratégique de développement, 1998, p. 56 et suivantes.

17. Conseil supérieur de l’éducation, op. cit., p. 16 et suivantes.

18. L’article 6.0.1 de la Loi sur les collèges d’enseignement général et professionnel précise que les collèges peuvent « contribuer, par des activités de formation de la main-d’œuvre, de recherche appliquée, d’aide technique à l’entreprise et d’information, à l’élaboration et à la réalisation de projets d’innovation technologique, à l’implantation de technologies nouvelles et à leur diffusion, ainsi qu’au développement de la région ».

19. Conseil supérieur de l’éducation, op. cit., p. 20.

20. Conseil supérieur de l’éducation, Vers un modèle de financement en éducation des adultes, Avis au ministre de l’Éducation, 1994, p. 40-44.

21. Les programmes d’études sont maintenant définis par compétences à partir d’analyses de situation de travail réalisées avec la collaboration des partenaires du marché du travail.