Autres
Communiqués
Mémoires et avis
Textes d’opinion
Autres
2024
2023
2022
2021
2020
2019
2018
2017
2016
2015
2014
2013
2012
2011
2010
2009
2008
2007
2006
2005
2004
2003
2002
2001
2000
1999
1998
1997
janvier
février
mars
avril
mai
juin
juillet
août
septembre
octobre
novembre
décembre
Résultat(s)

Filtres sélectionnés:

Par Gaëtan Boucher, président-directeur général de la Fédération des cégeps

Depuis que la ministre de l’Éducation et le ministre de la Santé et des Services sociaux ont annoncé, il y a maintenant un mois, leurs orientations sur la formation en soins infirmiers, il ne se passe pas une semaine sans qu’on entende parler de la « meilleure manière » de préparer les étudiants à exercer cette profession et surtout des « lieux propices », toujours les universités, à leur fournir les outils dont ils ont besoin. On a procédé ici et là à des analyses de la situation, souvent réductrices, et à un inventaire d’idées ni très neuves ni très fidèles à la réalité. Et c’est toujours du même point de vue, celui de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, que nous a été exposé le prétendu problème. Il est grand temps de remettre les pendules à l’heure et de présenter la question sous un angle nouveau, celui des collèges.

Au fond, ceux et celles qui s’opposent à la décision ministérielle de confier aux collèges la responsabilité d’assurer la formation de base des infirmières voudraient que la situation actuelle, qui est source d’inefficacité et de confusion, persiste. Cela en dépit même du bon sens et malgré les avis contraires des nombreux comités qui se sont penchés depuis au moins dix ans sur cette situation absurde où deux ordres d’enseignement donnent presque la même formation.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit : les universités, comme les collèges, offrent aux étudiants une formation initiale en soins infirmiers, qui les prépare à subir le même examen de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, qui lui-même donne accès à la même pratique. Cela donne lieu à des cas déroutants  – qui seraient presque cocasses s’ils n’étaient si dommageables pour les étudiants – où des hôpitaux embauchent indistinctement des infirmières formées au collégial et d’autres formées à l’université pour exercer, sous des titres différents, des fonctions qui sont rigoureusement les mêmes. Il y a là, sans l’ombre d’un doute, un problème grave de dédoublement.

Une formation rigoureuse et polyvalente

Les collèges sont fort bien placés pour assurer la formation de base des infirmières : ils le font depuis leur création en 1967, où ils ont pris la relève des écoles d’hôpitaux. Le programme d’études collégiales en soins infirmiers est rigoureux, à la fois théorique et pratique. En plus de développer leurs compétences techniques, les étudiants acquièrent des habiletés génériques – pensée logique, autonomie et capacité de synthèse par exemple – et des notions liées à différents champs cliniques, comme la pédiatrie, l’obstétrique, la chirurgie et la médecine; ils réalisent plusieurs stages en milieu de travail et acquièrent des connaissances de base en biologie, en psychologie et en sociologie notamment.

Le programme collégial a fait l’objet d’une évaluation systématique au début des années 80, pour être conforme aux exigences du marché du travail, et il est à nouveau révisé en profondeur pour être bien adapté aux nouvelles réalités dans le secteur de la santé. Les employeurs ont témoigné à plusieurs reprises de la qualité de la formation collégiale en soins infirmiers en exprimant leur satisfaction à l’endroit des diplômés. Selon une enquête menée en 1994 par le ministère de l’Éducation, 92,4 % des employeurs interrogés sont satisfaits des diplômés du collégial six mois après leur embauche. Par ailleurs, le Québec est loin d’être le seul endroit au monde où les infirmières sont formées au niveau collégial : c’est le cas pour 75,7 % des infirmières au Canada1, c’est aussi le cas en France et dans la presque totalité des États américains. Et rien ne prouve, comme le soutient l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, que cette tendance s’inversera.

Les défenseurs de la formation initiale à l’université répètent qu’il existe des différences entre le programme collégial en soins infirmiers et celui de l’université… ce qui est vrai. Il est vrai, par exemple, qu’on offre à l’université des cours généraux liés à l’acquisition de notions scientifiques : dans les collèges, on donne un aperçu de ces notions en les intégrant à des cours appliqués. Il est également vrai que les dimensions propres à la recherche en soins infirmiers et à la gestion de la qualité des soins, notamment, sont inexistantes au collégial où l’on consacre, davantage qu’à l’université, du temps aux stages pratiques de formation.

Mais toute la question n’est pas tant de savoir dans quelle mesure ces programmes sont semblables ou différents que de déterminer si ce qui caractérise la formation universitaire en sciences infirmières, en particulier la recherche, la conception, la coordination et l’évaluation d’un plan de soins, ainsi que l’enseignement clinique, est propre à l’exercice de la fonction d’infirmière soignante ou n’est pas plutôt un prolongement de la profession.

Des rôles complémentaires et bien définis

Le gouvernement vient enfin de trancher le débat : le programme collégial en soins infirmiers sera, d’ici l’an 2002 au plus tard, la porte d’entrée pour préparer les étudiantes à la profession infirmière. Ce qui ne veut pas dire qu’une étudiante ne pourrait pas décider d’approfondir ses connaissances en poursuivant sa formation à l’université. Au contraire, elle doit pouvoir se spécialiser, se perfectionner si elle désire assumer des tâches plus complexes comme celles d’une infirmière clinicienne ou d’une enseignante. Et elle serait d’autant mieux préparée à suivre une formation universitaire qu’elle aurait acquis, au préalable, des connaissances de base et des habiletés techniques propres à la pratique infirmière. Il ne fait donc aucun doute dans mon esprit que la formation en sciences infirmières a toute sa raison d’être à l’université. Il y a place sur le marché du travail pour les infirmières formées au collégial et pour celles qui le sont à l’université.

Ce à quoi il faut maintenant s’atteler, de toute urgence, c’est à l’harmonisation des programmes d’études et à l’établissement de passerelles entre les niveaux d’enseignement. Il faut s’entendre ensemble, comme c’est le cas pour d’autres professions, sur les meilleurs moyens de faciliter le parcours des étudiants et des étudiantes, dans une perspective de complémentarité. N’est-il pas logique que la formation universitaire en sciences infirmières prenne tout naturellement appui sur la formation collégiale, à laquelle elle donne suite?

La formation collégiale de base est un atout pour les diplômés en soins infirmiers qui décident de poursuivre leur formation à l’université, comme elle l’est par exemple pour les finissants des programmes techniques, particulièrement dans le domaine des techniques physiques, qui décident de suivre une formation universitaire en génie à l’École de technologie supérieure et qui sont très recherchés par les employeurs, justement parce qu’ils maîtrisent les habiletés de base.

En fait, s’il y a un problème lié à la formation des infirmières au Québec, c’est bien celui de l’harmonisation entre les cégeps et les universités. Le nouveau modèle clarifie le rôle des uns et des autres et met fin aux chevauchements, ce qui a pour effet de donner tout son sens à la formation universitaire en sciences infirmières. Personne n’a à y perdre, ni les collèges, ni les universités, ni les infirmières, ni la population, bien au contraire. Nous continuerons d’être soignés par des infirmières de plus en plus compétentes, polyvalentes et autonomes, capables de travailler dans des équipes multidisciplinaires et d’y apporter une contribution significative. Tout ce à quoi prépare la formation technique en soins infirmiers offerte dans les cégeps.


1 Selon les statistiques de l’Association des infirmières et infirmiers du Canada, 1996.